L’avènement du bifacial

Article publié par PV magazine France le 06 novembre 2019

Dans son dernier article Nicolas Chouleur, Associé chez Everoze, nous fait part de sa vision.

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Pendant longtemps, les modules bifaciaux étaient considérés comme des curiosités technologiques sans application pratique. Les deux dernières années ont démontré que cette technologie est en passe de devenir incontournable sur un grand nombre de marchés. En 2018, les modules bifaciaux représentaient déjà 10 % des nouvelles installations et, selon la plate-forme d’études de marché Tayiang, ils devraient représenter 40 % du marché mondial au cours de la prochaine décennie. Comme souvent avec le solaire, ces prédictions pourraient s’avérer bien en deçà du réel d’ici quelques années !

Les coûts de fabrication des modules bifaciaux sont maintenant similaires à ceux des modules mono-faciaux. Et si les coûts globaux des projets sont encore supérieurs à ceux des modules conventionnels, les promesses de productivité accrue expliquent l’engouement pour cette technologie. Cependant, certains investisseurs et banques hésitent toujours à inclure la technologie bifaciale dans leurs portefeuilles. Pourquoi ? Tentons de démystifier les concepts techniques clés de la technologie bifaciale, notamment : l’albédo, les phénomènes de dégradation, le choix des technologies et l’optimisation du design.

Qu’est-ce que l’albédo ?

L’albédo mesure la proportion du rayonnement solaire qui est réfléchi par le sol. Les modules bifaciaux sont capables de convertir ce rayonnement lorsqu’il atteint leur face arrière. L’albédo dépend en priorité de la nature du sol mais varie aussi avec la position du soleil ou la hauteur des modules. Plus un équipement est placé loin du sol, plus il capte le rayonnement réfléchi.

Pour obtenir des résultats précis, il est nécessaire d’effectuer des mesures sur site avec un albédomètre pendant 12 mois. Le raccourcissement de la période n’a de sens que dans les endroits où l’albédo ne varie pas de manière significative, comme au Moyen-Orient, mais ne convient pas, par exemple, dans les endroits fortement enneigés. Il est également important de veiller à ce que le terrain sur lequel la mesure est effectuée soit représentatif des conditions à long terme, même après la construction.

Cependant, cette approche n’est en général pas compatible avec les contraintes de temps et de budget des projets. Jusqu’à récemment, le service MODIS de la NASA était la seule base de données mondiale disponible. Mais son utilisation n’était pas très aisée et la résolution demeurait faible. Les fournisseurs des données climatiques développent de nouveaux services pour répondre à cette demande. Cependant, la précision de ces données est moins bonne que la mesure sur site.

Simuler un projet bifacial ?

S’il n’existe à ce jour aucune norme en matière de simulation PV, il existe un certain consensus sur la manière de simuler un projet photovoltaïque qui a permis le développement que l’on connait du solaire.

De nombreux effets doivent être pris en compte pour simuler le fonctionnement des modules bifaciaux : la modélisation de l’albédo et du rayonnement associé, la dégradation des cellules (avec des phénomènes qui peuvent être différents entre face avant et face arrière), le contenu spectral du rayonnement réfléchi, l’impact de l’encrassement ou de la neige, pour n’en citer que quelques-uns. Tous ces éléments font l’objet de recherches. Le récent atelier « Bifi Workshop », qui a eu lieu en octobre à Amsterdam, a été l’occasion de présenter un grand nombre de développements pour simuler au mieux les systèmes bifaciaux. Il est intéressant de noter que PVsyst était utilisé par l’ensemble des acteurs, soit comme unique programme de simulation pour modéliser des sites de tests, soit comme référence pour le développement de programmes plus complexes et précis. La validation des différents modèles est toujours un travail en cours et implique de partager autant de données de terrain que possible avec le plus grand nombre d’acteurs indépendants. Les résultats de ces analyses devront à leur tour être diffusés largement pour permettre à l’ensemble de la profession de progresser.

Quel choix de technologie ?

Les principaux fabricants ont ajouté des modules bifaciaux basés sur des cellules à haute efficacité à leur catalogue de produit. La technologie p-PERC est actuellement la plus répandue. Bien que les cellules n-PERT ou hétérojonctions présentent un meilleur comportement bifacial, leurs coûts plus élevés semblent pour l’instant les disqualifier pour un développement de masse.

Plus que le choix des cellules, le frein majeur au déploiement des modules bifaciaux tient à l’absence de normes adaptées à ces nouvelles technologies. La norme IEC 60904-1-2 :2019, publiée en début d’année, vient partiellement combler ce vide. Elle définit comment les modules bifaciaux doivent être flashés et quels sont les critères pour caractériser leur puissance et la performance de la face arrière. Mais il reste un grand nombre d’inconnues, les normes sur la sécurité et la durabilité des modules (IEC 61215 et IEC 61730) ne sont pas adaptées aux modules bifaciaux. Des efforts restent à faire dans ce domaine et, en attendant, il est raisonnable de demander aux fournisseurs de modules bifaciaux de montrer des résultats de tests indépendants sur la robustesse des modules fournis par des laboratoires réputés.

Une nouvelle approche du design ?

La conception détaillée doit prendre en compte les facteurs spécifiques au bifacial, aussi bien pour les centrales au sol que les systèmes en toiture. Les modules bifaciaux offrent de très nombreuses possibilités pour les installations intégrées au bâtiment : gardes corps, canopées, façades, murs anti-bruit, etc… Mais il faut également repenser le design des installations au sol.

Si, sur les toits plats, l’albédo peut être facilement amélioré en installant une membrane d’étanchéité de couleur blanche, l’augmentation de l’albédo pour un système monté au sol est plus difficile, en raison des coûts supplémentaires associés à l’entretien (nettoyage, tonte ou maintenance des revêtements de sol).

D’autres facteurs permettent d’augmenter la production des modules bifaciaux. Les systèmes de pose doivent être repensés pour réduire les ombres portées sur la face arrière des modules. Le choix de ces équipements ne peut plus être uniquement basé sur les coûts – la forme et la conception doivent également être prises en compte. La décision d’installer les modules plus haut afin de capter davantage d’irradiation a un impact défavorable sur le coût des structures et du nettoyage.

L’inclinaison optimale des capteurs est susceptible d’être différente pour les modules bifaciaux. Certains développeurs proposent même une installation verticale des modules, ce qui pourrait en outre réduire les pertes de neige dans certaines régions. Dans le cas des suiveurs à un axe, le « back-tracking » – une stratégie de suivi visant à minimiser l’ombrage des panneaux photovoltaïques sur la face avant – peut ne plus être la solution optimale.

Verdict

Le déploiement de la technologie bifaciale soulève de nombreuses questions mais il ne semble pas y avoir d’obstacle majeur à leur déploiement. Comme toute nouvelle technologie, le principal frein est le manque de retour d’expérience. D’ici quelques années, l’expérience accumulée devrait permettre de réduire l’incertitude des simulations. Si les systèmes photovoltaïques bifaciaux peuvent augmenter la production de 10 % ou plus de manière prévisible, une adoption plus large par les investisseurs est inévitable. Pour cela, les centres de R&D et les industriels doivent travailler ensembles pour extraire le plus de données possible du terrain et mettre les résultats à la disposition de l’ensemble de la communauté photovoltaïque.